Dans un dossier de Nolwenn Weiler et Yann-Malo Kerbrat pour Splann ! (auquel j’ai contribué en tant que data-journaliste et cartographe), on mesure combien le bocage breton reste fragile, et que les arrachages de haies sont aussi les symptômes d’un modèle agricole productiviste.
La haie, c’est d’abord la composante d’une exploitation, avec des fonctions : protéger le bétail du vent, maintenir un écosystème qui régule les parasites des cultures… La majorité des agriculteurs est convaincue de son intérêt. Mais leur entretient coûte cher, demande du matériel, du temps et reste accidentogène. Il faut peu de choses pour faire pencher la balance du côté des tronçonneuses : la diminution des marges, des aides européennes plus favorables aux grandes parcelles céréalières, et des politiques publiques vaguement appliquées.
Sur le papier, l’arrachage des haies est strictement réglementé, mais dans la pratique, on ne perd pas grand chose à contrevenir aux règles : le dispositif de veille laisse passer beaucoup de coupes sauvages, les pénalités sont peu dissuasives et l’air du temps est plutôt relâchement des contraintes environnementales.
Avec l’équipe de Splann !, nous avons cherché à mesurer précisément l’évolution du linéaire bocager ces dernières années. La base données de référence (la BD Haie) est un agrégat de plusieurs recensements aux finalités différentes. Et surtout, c’est une photographie. L’IGN travaille sur de nouvelles cartographies de l’occupation des sols à grande échelle (OCS-GE), grâce à un algorithme d’un efficacité impressionnante dans l’interprétation des images aériennes. On aura donc bientôt accès au contour de chaque haie, avec la possibilité d’appliquer l’algorithme à différents millésimes d’ortho-photographies. Mais en attendant, comment faire ?
Nous avons décidé de resserrer l’analyse à un bassin versant (celui du Léguer, dans la région de Lannion), ce qui permettait d’envisager un travail classique de photo-interprétation, long mais efficace. La recette : les photos aériennes IGN de 2003, superposées à celle de 2023, de bons yeux, beaucoup de clics pour tracer des lignes et une progression par grille pour ne rien rater. Le résultat final est un récit cartographique sous forme de « scrollytelling ».
Haies fantômes du Trégor
avril 2024

